C’est une mesure que nous prenons tous, par réflexe, de temps à autre. Une patiente présente un problème réellement déroutant et rien de ce que nous savons ne nous donne même qu’un indice quant à sa solution. Notre anamnèse ne nous aide en rien. L’examen physique n’offre aucune explication raisonnable quant aux symptômes de la patiente. Ces symptômes sont véritablement préoccupants, mais toute explication (et toute idée quant à la façon d’y remédier) vous échappe. Puisque vous ne voulez pas sembler déconcerté (même si c’est plus ou moins le cas), vous commencez à demander la tenue de tests. La patiente en est soulagée puisque le processus diagnostique est alors mis en branle et que l’apparition d’une solution ne saurait donc tarder. Mais vous êtes loin d’en être assuré, puisque les tests dont vous demandez la tenue pourraient s’avérer plutôt futiles. La patiente se sent mieux, mais ce n’est certainement pas votre cas.
Du point de vue de la patiente, les tests dont vous demandez la tenue ont pour but d’identifier une cause à ses symptômes. De votre point de vue, toutefois, ils ont également (et peutêtre même plus) pour but d’écarter la présence possible de toute cause grave, particulièrement celles qui pourraient être d’origine néoplasique. Cette façon de faire pourrait être considérée comme la pratique d’une médecine « défensive ». Vous avez habituellement la conviction que ces tests ne découvriront rien d’anormal. Comme le Dr Rachel Kupets et ses collègues le soulignent dans le présent numéro du JOGC, une consultation patiente–médecin sur cinq se solde par la demande de la tenue d’une quelconque forme d’imagerie
1.
. Ces demandes de tests d’imagerie cherchent soit à identifier une anomalie anatomique, soit à démontrer que tout est normal. Toutefois, cela peut donner lieu à des effets pervers, comme lorsque l’imagerie dont la tenue a été officiellement demandée dans le but de rassurer la patiente en vient plutôt à découvrir la présence d’une anomalie n’ayant rien à voir avec le problème en question (un incidentalome2.
).Les exemples de ce scénario abondent dans le domaine de l’obstétrique-gynécologie : il n’est pas rare que les examens échographiques foetaux « réguliers » en viennent à identifier des anomalies nécessitant un suivi particulier et parfois même vital. Chez les femmes n’étant pas enceintes, les examen échographiques pelviens en viennent couramment à identifier la présence de « kystes ovariens », mais s’agitil là de phénomènes physiologiques ou pathologiques? Les cliniciens qui mènent eux-mêmes leurs examens échographiques peuvent utiliser des données cliniques pour résoudre cette question au moment de l’intervention; toutefois, lorsque l’examen échographique est mené de façon isolée par un technicien, l’interprétation subséquente des images par un radiologiste pourrait être nuancée. Ainsi, il est possible qu’un radiologiste ait à utiliser des termes tels que « conforme à » ou « corrélation clinique requise », ce qui placera la patiente dans un état d’anxiété non résolue jusqu’à ce qu’un diagnostic soit fermement établi. Un radiologiste aux yeux duquel l’importance d’un kyste évoque de l’incertitude en viendra souvent à recommander la tenue d’autres formes d’imagerie pour résoudre cette incertitude, ce qui contribuera à l’escalade des coûts et retardera peut-être l’établissement d’un diagnostic définitif.
Lorsqu’un clinicien canadien identifie une masse annexielle chez une femme n’étant pas enceinte et qu’il estime qu’il ne s’agit pas là d’un phénomène physiologique, comment doitil réagir? La directive clinique de la SOGC intitulée « Prise en charge des masses pelviennes/ovariennes : Évaluation initiale et lignes directrices quant à l’orientation des patientes » recommande la tenue d’une évaluation échographique transvaginale ou transabdominale; elle recommande également que la détermination du taux de CA 125 soit envisagée
3.
. Des caractéristiques devant être particulièrement consignées dans le rapport d’échographie (afin de permettre le calcul du score en matière de risque de malignité) sont citées. Ces recommandations sont-elles respectées de façon régulière? Nous ne le savons malheureusement pas (nous devrions cependant faire preuve de bonne foi et présumer qu’elles le sont dans la plupart des cas).- Le T.
- Giede C.
- Salem S.
- Lefebvre G.
- Rosen B.
- Bentley J.
- et al.
comité sur les politiques et les directives cliniques SOGC/GOC/SCC; comité sur l’imagerie diagnostique de la SOGC. Prise en charge des masses pelviennes / ovariennes : Évaluation initiale et lignes directrices quant à l’orientation des patientes. Directive clinique commune SOGC/GOC/ SCC, n° 230, juillet 2009.
J Obstet Gynaecol Can. 2009; 31: 668-673
Lorsque le même clinicien fait face à une patiente présentant des symptômes pelviens ou abdominaux, mais qui au moment de l’examen ne présente aucune anomalie pelvienne détectable, comment doit-il réagir? Nous ne pouvons en être sûrs, mais il est à tout le moins probable qu’une proportion de cliniciens canadiens demanderaient la tenue d’au moins certains tests de dépistage du cancer de l’ovaire (mesure du taux sérique de CA 125 et échographie transvaginale). Une étude menée aux États-Unis auprès d’une cohorte de médecins (composée d’approximativement un tiers de médecins de famille, un tiers d’internistes généralistes et un tiers d’obstétriciens-gynécologues) a constaté que 28 % de ceux-ci offraient un tel dépistage aux femmes exposées à un faible risque de cancer de l’ovaire (65 % de ces médecins l’offraient aux femmes exposées à un risque moyen), et ce, malgré l’absence de recommandations en ce sens
4.
. Il ne s’agit pas là d’un fait insignifiant, puisque la British Health Technology Association a déterminé que si les femmes de 50 à 64 ans étaient systématiquement soumises à un dépistage du cancer de l’ovaire au moyen de dosages annuels des taux sériques de CA 125 et d’échographies transvaginales menées tous les deux ans, une telle politique ne permettrait au plus que la détection de quatre cas additionnels de cancer de l’ovaire par 10 000 femmes dépistées par année5.
. L’essai Prostate, Lung, Colorectal and Ovarian Cancer Screening Trial, lequel a fait appel aux mesures du taux sérique de CA 125 et à l’échographie transvaginale aux fins du dépistage du cancer de l’ovaire, a signalé un taux de faux positif de 8,4 %; le tiers des femmes ayant obtenu un résultat faux positif ont par la suite subi une chirurgie et 15 % d’entre elles ont connu des complications significatives6.
. Compte tenu de ce degré de morbidité, nous sommes contraints à être sélectifs au moment de mettre en oeuvre ces techniques de dépistage et à faire preuve de prudence au moment d’en interpréter les résultats.En se penchant sur la façon d’assurer l’efficacité du dépistage du cancer de l’ovaire (plutôt que de chercher à éviter les torts qui lui sont associés), le Dr Angela Chan et ses collègues de la BC Cancer Agency avancent que les stratégies de dépistage utilisées à ce jour ont échoué en raison de la supposition selon laquelle tous les cancers de l’ovaire sont semblables
7.
. Ils soutiennent que le dosage du taux sérique de CA 125 et l’échographie transvaginale comptent tous deux des lacunes considérables pour ce qui est de l’identification de la maladie en étant à un stade précoce. Les lacunes subjectives du CA 125 sont que celui-ci ne constitue pas un biomarqueur fiable pour ce qui est des cancers non séreux et que ses taux sériques ne sont élevés que chez 50 % des femmes présentant des tumeurs de stade I8.
. La lacune subjective de l’échographie à titre d’outil de dépistage découle de l’hypothèse selon laquelle le carcinome séreux de grade élevé (soit la forme la plus mortelle) fait dans la plupart des cas son apparition dans la trompe de Fallope distale et se propage de façon transcoelomique, ne mettant en cause l’ovaire que de façon secondaire7.
; cependant, des données soutiennent néanmoins l’hypothèse selon laquelle l’épithélium de la frange et de la surface ovariennes est tout aussi susceptible de contribuer à l’apparition d’un cancer épithélial de l’ovaire9.
. Quoi qu’il en soit, ni le dosage du taux sérique de CA 125 ni l’échographie transvaginale ne permettent nécessairement de détecter un cancer précoce de l’ovaire. Ainsi, même lorsque les cliniciens font une entorse aux règlements pour offrir ces modes de dépistage aux femmes, l’obtention de résultats négatifs ne permet pas d’exclure la présence possible d’un cancer.L’étude signalée par le Dr Rachel Kupets et ses collègues dans le présent numéro du JOGC indique que, même à la suite de la détection d’une masse annexielle suspecte, il est possible qu’une patiente fasse l’objet d’une prise en charge sous-optimale
1.
. Ils ont constaté que près de 60 % des femmes présentant une masse annexielle (dont la malignité en est par la suite venue à être démontrée) avaient subi une tomodensitographie ou une IRM avant d’être orientées vers des services spécialisés, ce qui n’a réussi qu’à retarder l’orientation en question et la prise en charge chirurgicale de ces patientes; de plus, la plupart de ces femmes ont été orientées vers un gynécologue plutôt que vers un gynécologue-oncologue, ce qui a atténué l’avantage d’une telle orientation en matière de survie10.
. Ces écarts en matière de prise en charge rappellent les « fausses routes » dans le domaine de l’endoscopie : il s’agit d’erreurs de parcours pouvant donner lieu à des torts.Pour mieux servir nos patientes, il vaut mieux prendre du recul et réfléchir avant d’automatiquement demander la tenue de tests supplémentaires; de plus, dans de multiples domaines de notre spécialité, nous avons besoin de formes mieux adaptées et plus productives de dépistage. Nous devons également nous assurer de rationaliser la prise en charge à la suite de la détection d’une anomalie. Lorsque nous envisageons l’exemple du cancer de l’ovaire, il n’est pas surprenant de constater que nos collègues oncologues souhaitent cibler les moyens de prévention plutôt que les moyens de détection
11.
. Les tests dont nous demandons la tenue devraient être pertinents et fiables; ils devraient également mener directement à la mise en oeuvre d’une prise en charge appropriée. Mettez-vous à la place de la patiente.RÉFÉRENCES
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- comité sur les politiques et les directives cliniques SOGC/GOC/SCC; comité sur l’imagerie diagnostique de la SOGC. Prise en charge des masses pelviennes / ovariennes : Évaluation initiale et lignes directrices quant à l’orientation des patientes. Directive clinique commune SOGC/GOC/ SCC, n° 230, juillet 2009.J Obstet Gynaecol Can. 2009; 31: 668-673
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