Peu de troubles obstétricaux exercent des effets aussi lourds de conséquence que le placenta prævia. Bien que la grossesse en elle-même puisse susciter une grande anxiété, celle-ci n’affecte en grande partie que les futurs parents. Toutefois, dans le cas d’une femme qui présente un placenta prævia, cette anxiété pourrait également affecter ses fournisseurs de soins et les membres de sa famille élargie. Le fait de ne pas savoir quand l’hémorragie antepartum anticipée pourrait se produire (à l’hôpital ou à la maison, près du terme de la grossesse ou bien avant) constitue une situation troublante pour la plupart d’entre nous. Le fait de ne pas savoir si l’hémorragie antepartum anticipée constituera ou non un danger de mort est une situation potentiellement encore plus troublante qui nous affecte tous, sauf peut-être les professionnels les plus aguerris.
En Amérique du Nord, le placenta prævia compte une prévalence globale de 2,9 sur 1 000 grossesses, par comparaison avec une prévalence mondiale de 5,2 sur 1 000 grossesses
1.
. Les femmes asiatiques sont celles chez qui le placenta prævia compte la plus forte prévalence à l’échelle internationale (prévalence globale : 12,2 sur 1 000 grossesses)1.
. Bien que les données dont nous disposons ne nous permettent pas d’établir les raisons pour lesquelles ces taux diffèrent d’une région à l’autre, Iyasu et al. ont constaté en 1993 que les Américaines d’origine asiatique étaient exposées à un risque de placenta prævia deux fois plus élevé que celui auquel étaient exposées les femmes d’autres origines ethniques2.
. Cela semble indiquer qu’il pourrait y avoir une prédisposition génétique au placenta prævia. La manifestation d’un placenta prævia est également associée de façon significative à la cicatrisation utérine et à la perturbation endométriale qui sont constatées à la suite d’une instrumentation utérine (comme un curetage), d’un antécédent de placenta prævia et, surtout, d’une césarienne. Il semble que, pour des raisons toujours inconnues, la présence d’une cicatrisation utérine ou d’une perturbation endométriale dans le segment utérin inférieur constitue un facteur qui prédispose la patiente à l’implantation du placenta dans cette partie de l’utérus4.
. Heureusement, au fur et à mesure de la grossesse, le placenta connaît un processus de croissance connu sous le nom de « trophotropisme », dans le cadre duquel les cellules trophoblastiques cherchent à s’implanter dans des zones présentant une vascularité accrue (vers le fond de l’utérus). Il en résulte une migration apparente du placenta (dans plus de 90% des cas), lequel s’éloigne ainsi du segment inférieur cicatrisé et moins vascularisé. Les tissus placentaires qui demeurent dans le segment inférieur peuvent en venir s’atrophier complètement, peuvent poursuivre leur existence sous forme d’îlots (lobes accessoires) ou peuvent s’atrophier en laissant derrière eux des vaisseaux intacts (vasa prævia). Le placenta semble donc se déplacer comme par magie, mais il y a une explication à tout.Du point de vue de la santé publique, l’association entre le placenta prævia et les antécédents de césarienne est troublante. Le risque de placenta prævia est proportionnel au nombre de césariennes déjà subies : une femme ayant déjà subi une césarienne présente un rapport de cotes de 4,5 pour ce qui est du placenta prævia; toutefois, ce rapport de cotes passe à 44,9 dans le cas d’une femme ayant déjà subi quatre césariennes
5.
. Bien que cette hausse semble alarmante, certaines données indiquent que lorsque l’on exclut de l’analyse les femmes qui ont bel et bien connu un placenta prævia, le risque auquel est exposée la grossesse suivante semble devenir moins alarmant6.
. Quoi qu’il en soit, une chose est claire : la chute des taux de césarienne s’accompagnerait d’une chute de la prévalence du placenta prævia. Voilà donc une autre des raisons pour lesquelles l’on devrait envisager la tenue d’une césarienne en l’absence d’indications obstétricales avec circonspection.Puisque des saignements vaginaux abondants pourraient fort possiblement en venir à se manifester, une hospitalisation s’avère-t-elle donc nécessaire en présence d’un diagnostic de placenta prævia au cours du troisième trimestre? Bien que certaines lignes directrices aient recommandé une hospitalisation à partir de 34 semaines pour les femmes qui présentent un placenta prævia de degré majeur et qui connaissent un épisode de saignements
7.
, aucune donnée probante substantielle ne soutient une telle recommandation. Une étude rétrospective menée auprès de 161 femmes a constaté que le degré de placenta prævia ne permettait pas de prédire la probabilité de voir se manifester des saignements ou de devoir procéder à un accouchement d’urgence8.
. La nécessité de procéder à l’hospitalisation doit évidemment être évaluée au cas par cas. Il est logique de supposer qu’une femme exposée à un risque perçu de saignement pourrait demeurer à la maison, pour autant que son domicile se trouve raisonnablement près de l’hôpital où elle accouchera et qu’elle puisse toujours compter sur une personne pouvant lui venir en aide. Un seul essai randomisé de faible envergure a comparé la prise en charge à l’hôpital à la prise en charge en clinique externe pour ce qui est des femmes qui présentent un placenta prævia; la seule différence que ces chercheurs ont constaté entre les groupes visés fut un séjour à l’hôpital de plus courte durée chez les femmes ayant fait l’objet d’une prise en charge en clinique externe9.
. Ainsi, il ne semble pas déraisonnable de recommander à ces femmes de demeurer à la maison, mais une telle façon de faire pourrait également susciter de vives inquiétudes chez les membres de la parenté…Vient ensuite la question du mode d’accouchement. Il est clairement admis qu’une femme chez qui le placenta couvre l’orifice interne du col peu de temps avant le terme de la grossesse devra subir une césarienne; toutefois, lorsque le placenta n’atteint pas l’orifice interne, la détermination du mode d’accouchement à privilégier devient plus controversée. Dans le cadre de sa directive clinique de 2007 intitulée « Diagnostic et prise en charge du placenta prævia », la SOGC recommandait que lorsque le pourtour placentaire se situe à>20 mm d’écart par rapport à l’orifice cervical interne (tel que déterminé par échographie transvaginale, à 35 semaines de gestation ou plus tard), la patiente peut se voir offrir un essai de travail, lequel présente alors une forte probabilité de se solder en un accouchement vaginal en toute sûreté
10.
. Toutefois, lorsque la distance entre le pourtour placentaire et l’orifice interne est<20 mm, la probabilité de devoir procéder à une césarienne est plus importante, et ce, bien que la tenue d’un accouchement vaginal puisse toujours être possible10.
. Dans le présent numéro du JOGC, Khalid Al Wadi et coll. décrivent les résultats d’une étude prospective menée auprès de femmes chez qui le pourtour placentaire se situait à 11-20 mm d’écart par rapport à l’orifice cervical interne et qui ont tenté un essai de travail11.
. Leurs constatations sont rassurantes : plus de 90% des femmes visées ont connu un accouchement vaginal sans saignements importants pendant la période intrapartum. Ils en sont venus à la conclusion que leurs résultats validaient la classification du placenta prævia qu’ont proposé Lawrence Oppenheimer et Dan Farine en 2009 en vue de rationaliser la prise en charge 12.
, et qu’ils confirmaient qu’une césarienne ne s’avérait pas requise pour toutes les femmes qui présentent un pourtour placentaire se situant à<20 mm d’écart par rapport à l’orifice interne. Puisque cette étude menée par Al Wadi et coll. était de nature prospective, ses constatations sont significatives et dignes d’intérêt.Le placenta prævia constitue un problème obstétrical grave dont la prise en charge devrait être assurée par des équipes expérimentées. Parmi les morbidités connexes, on trouve l’hémorragie (antepartum, intrapartum et postpartum), une adhérence placentaire anormale, la nécessité de procéder à une hystérectomie par césarienne et à une transfusion sanguine, la septicémie et la thrombophlébite. La possibilité de constater une détresse affective chez la patiente (attribuable aux épisodes de saignements vaginaux abondants, à l’hospitalisation à répétition et à des préoccupations quant au bien-être de l’enfant) ne peut être banalisée. Nous n’en ferons jamais assez pour atténuer l’incidence du placenta prævia et ainsi éviter ces conséquences.
RÉFÉRENCES
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- A new classification of placenta previa: measuring progress in obstetrics.Am J Obstet Gynecol. 2009; 201: 227-229
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